Text:August Lustig/A. Lustig Sämtliche Werke: Band 1/Souvenirs.

Souvenirs.

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Qui n'a pas feuilleté le livre du passé,
Rêvé d'un temps lointain, obscur, presqu'effacé,
Où tout petit encor le premier souvenir
S'imprimait dans le cœur pour ne plus en sortir.
Comme un long rêve, alors, qui flotte doucement,
Les scènes du passé défilent lentement
Devant l'esprit songeur !..

C'était pendant l'hiver. (1844)
Il faisait froid, bien froid et le ciel était clair ;
M'on père au point du jour, souvent, m'enveloppait,
Me prenait sur son bras robuste et m'emportait,
Sur un large chemin qui faisait une pente
Que la neige et le froid rendaient souvent glissant
Je tremblais chaque fois alors entre ses bras,
Avec anxiété je comptais chaque pas
Qui craquait dans la neige ; au moindre mouvement.
Je détournais les yeux. - Que j'étais donc enfant !
La pente redoutée, effrayant mon regard
Jadis, m'a fait sourire en la voyant plus tard !...

1852.
A l'école un matin, c'était un mercredi,
Le jour où l'on avait vacance après-midi
Un soleil de printemps illuminait l'espace,
Ses rayons bienfaisants inondaient notre classe ;
La pensée s'envolait au loin dans la campagne,
Courant après les fleurs, grimpant sur la montagne.

Qu'il nous paraissait long, cet ennuyeux matin !
Le professeur perdit ce jour-là son latin.

Mais tout-à-coup le ciel devint en peu d'instants
Tout sombre, puis la pluie vint tomber à torrents ;
Bien sûr le professeur lut sur quelques visages
Le désappointement causé par ses nuages.
Chers enfants, nous dit-il, c'est ainsi dans la vie ;
Sans doute vous aviez en tête une partie,
Bien des projets s'en vont ainsi, rien n'est durable,
On bâtit ici-bas bien souvent sur le sable !...
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(18 Août 1861.)
Un jour loin du pays je me vois emporté.
Le train marche sans cesse avec rapidité,
Tantôt longeant un mont, tantôt un précipice,
Plus loin les bords d'un lac, puis soudain il se glisse
Dans quelque noir tunnel, immense souterrain,
Où semble résider l'infernal souverain.
Triste et préoccupé je regardais à peine
Ce tableau, merveilleux, cette sublime scène !

J'allais à Chambéry !... Je me sens tressaillir
En entendant ce nom. - Quel triste souvenir !
Là, j'ai passé des jours sans bonheur et sans charmes ;
J'avais si peu de goût pour le métier des armes !
Moi qui surtout aimais vivre tranquillement
M'imposer tout-à-coup la vie de régiment !
Laisser l'humble crayon pour une énorme lance !
Le grattoir pour un sabre, un pistolet immense
En plus, pour compléter ce charmant attirail ;
Que voulait-on de moi ? quel était le travail
Qui m'attendait ? - Hélas ! quel soldat j'allais faire,
Je n'avais pas du tout la pensée meurtrière !

Ah ! quelle vie charmante, et comme on s'amusait !
Le matin dès l'aurore une trompette sonnait
Le réveil, et cet air me faisait tressaillir
Chaque fois ; il marquait l'heure d'aller subir
Les tourments journaliers. - Manœuvrer sans relâche
A cheval, puis à pied ; ramasser, quelle tâche !
Les marrons chauds, surnom qu'on donnait aux crottins,
Et sous peine d'amende encore, avec les mains ;
Malmené par des chefs stupides et farouches,
Manger deux fois par jour la maigre soupe aux mouches
Astiquer et polir armes et fourniment,
Ce sont-là les attraits qu'offre le régiment.

Souvent à l'écurie, en train de travailler,
Je regrettais le temps heureux de l'atelier !
Un excellent balai remplaçant mes pinceaux.
Dieu ! qu'on avait de soins pour ces maudits chevaux !
Comme on les dorlotait, comme on avait du mal,
J'aurais voulu souvent être un peu mon cheval !

Comme il est loin ce temps ! il me semble rêver,
Quand par ces souvenirs je me laisse entraîner !

Je me vois à Lyon, plus tard, puis à Versailles,
Et puis un jour enfin j'ai franchi les murailles
De ce Paris vanté ! - C'est là qu'un certain jour
Nous étions à Longchamps, attendant notre tour
De passer la revue de l'homme trop fameux,
Qui devait rendre un jour tant d'êtres malheureux !
Il venait d'arriver devant le régiment
Quand notre colonel, un peu trop brusquement,
S'élança sur ses pas. - Alors cet empereur,
En entendant ce bruit, se retourna de peur ;
J'ai surpris un regard alors, indescriptible,
Rempli de passions, qui m'a paru terrible;
Au plus vil assassin, au plus lâche voleur
Se croyant découvert, il aurait fait honneur !

Quand le malheur, un jour, est venu nous surprendre
J'ai revu ce regard et j'ai pu le comprendre.
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Sur un chemin poudreux, il faisait jour à peine,
Un cavalier pensif, laissant flotter les rênes,
Allait tout doucement au pas de sa monture,
Admirant le tableau de la belle nature ;
Le soleil se levait, la rosée dans les champs
Brillait, l'oiseau chantait sa chanson de printemps,
Mille voix acclamaient le bel astre du jour
Qui venait réveiller la nature à l'amour.

Tout semblait me sourire en faisant ce chemin,
Car j'allais à Colmar ! - C'est là qu'un beau matin
Je finis de payer ma dette à la patrie.
Devenu musicien, de valet d'écurie
Que j'étais, je sortis enfin du régiment
Que je ne devais plus revoir. - Quel changement
S'est opéré depuis ! et comme tout est vain !...
Ce temps a disparu comme un rêve lointain !...
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18 Juillet 1868.
La musique est un art très-précieux souvent,
Elle peut rappeler maint souvenir charmant
A la pensée rêveuse, et souvent on se voit,
Sur les ailes d'un air, transporté vers l'endroit
Où tout d'abord il s'est glissé dans notre cœur,
Où nous avons un jour rencontré le bonheur !

Ainsi souvent un air de valse me rappelle
Une soirée d'été séduisante et bien belle ;
Unis ce même jour nous étions en voyage
Ma charmante compagne et moi. Sur son visage
Rayonnait le bonheur le plus parfait, et moi
Du monde tout entier je me croyais le roi.
Partis furtivement nous étions seuls enfin.
Plus de cérémonies ! plus de discours sans fin !
De notre liberté heureux et fiers tous deux,
Nous allions au hasard, rêvant silencieux,
Quand la brise du soir, comme pour nous fêter,
Vint en nous caressant, soudain, nous apporter
Les accords gracieux d'une valse entraînante,
Qui nous parut alors douce et bien séduisante.

Son chant fera toujours ressentir à mon cœur
La douce émotion de ce jour de bonheur !

1868.
Puis vint la matinée splendide, enchanteresse,
Sur le lac de Lucerne, oh ! je verrai sans cesse
Ce tableau merveilleux !
Le temps était charmant,
Comme sur un miroir nous glissions doucement
Entre ces hauts rochers sombres, majestueux,
Parsemés de chalets, de sentiers tortueux,
D'un côté le Righi se drapait dans son ombre,
De l'autre le Pilate avec sa tête sombre
S'élançait dans les airs comme un géant immense !
Quelle scène enchantée ! quelle magnificence !
Ce n'est pas sans raison que dans ce beau séjour
Les jeunes mariés vont cacher leur amour !
Devant cette nature et son sublime ouvrage,
Se sentant plus petits, on s'aime davantage !

1870.
Un jour le spectre noir qu'on appelle : LA GUERRE,
Le plus hideux fléau qui désole la terre,
Vint nous frapper soudain d'horreur et d'épouvante,
En traçant près de nous une route sanglante.
Hélas, quel souvenir ! je vois encore toujours
Les pauvres insensés qui passaient tous les jours
Criant, hurlant, chantant comme de vrais sauvages,
En allant sur ces champs d'horreurs et de carnages
Où par l'ambition de quelques misérables,
Se passaient les forfaits les plus épouvantables !
Sans jamais s'être vus, sans même se connaître,
Les hommes s'égorgeaient sur le signe d'un maître.
Eux mêmes inventant encor maint instrument
Pour se tuer plus vite et plus facilement !

Quelle fièvreuse vie ! sans cesse tourmenté,
On voyait chaque jour avec anxiété
Surgir une autre loi déchirant des familles,
Et l'ennemi venait, s'approchait de nos villes.
A chaque instant le cri lugubre : les Prussiens !
Venait jeter l'alarme. On tremblait pour les siens,
On ne faisait qu'errer sans but et sans espoir....
Quels temps sombres, fatals ! craignons de les revoir.

19 Septembre 1870.
Pendant ces tristes jours de malheur et de guerre.
Un faible petit être, une enfant douce et chère
Venait comme un sourire en ces temps de terreur,
Calmer un peu nos maux par un peu de bonheur.

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Penché sur elle, souvent, et contemplant les traits
De son petit visage aimé, si doux, si frais,
On oubliait ainsi pendant quelques moments
La guerre et ses horreurs, la terre et ses tourments !

Mai 1874.
Quatre ans se sont passés, bientôt, depuis ce jour,
Et le petit enfant devint grand à son tour.

Quel plaisir aujourd'hui quand nous allons courir
Ensemble dans les prés, les bois, pour y cueillir
Des fleurs, quelle joie folle alors, quel babillage !

Quand je la vois ainsi de loin sous le feuillage
Avec sa tête blonde aux boucles si soyeuses
Sa figure éveillée, ses mines gracieuses,
Il me semble entrevoir une apparition,
Une image enchantée de quelque vision !
J'entends à chaque instant partir des cris joyeux
Aussitôt qu'un trésor nouveau frappe ses yeux.

Enfance bienheureuse ! un rien, la moindre fleur,
Un scarabée luisant suffisent à son bonheur !

Cher ange, amuse-toi, tu ne sais rien encore
Des tourments de la vie, tu n'es qu'à son aurore,
Trop tôt la raison vient avec ses exigences
Chasser le temps heureux des naïves croyances !